Dans le massif calcaire de Bac-son, dans les grottes situées près des villages de Lai-Ta et de Bang-Mac, sur la route de Dong-Mo (station du chemin de fer de Hanoï à Na-Cham, kilomètre 113), la fouille du riche gisement de Kéo-Phay a été faite. Un crâne très fragmenté, étroitement apparenté à ceux de Pho-Binh-Gia, a été exhumé à Kéo-Phay et une seconde voûte crânienne a été recueillie à Khac-Kiem par Madeleine Colani. Le dépôt meuble, peu épais, encombré de blocs ne montra aucune stratification appréciable mais contenait un outillage de faciès pléistocène. Celui-ci comprenait cinq instruments subelliptiques ou amygdaloïdes de dimensions parfois réduites, quatre racloirs et quelques éclats. Deux véritables « coups de poing » en roche péridotique noirâtre à cassures irrégulières, y sont identiques par leurs contours et proportions aux pièces chelléennes les moins longues des alluvions inférieures des cours d’eau de l’Europe occidentale.
Les cavernes du Bac-son
Un biface présentait des côtés montrant une torsion accusée. Un autre moins massif, de contour très régulier, a conservé sur l’une des faces une partie de la croûte du galet dont il est tiré. Le troisième a tout son pourtour retouché avec habileté. Une seule face est taillée, la face opposée, formée par la surface érodée du galet, s’incurve à l’une des petites extrémités. Cette facture a déjà été observée sur d’autres instruments des cavernes du Bac-son, à Co-Kho notamment.
Le crâne humain de Kéo-Phay, très incomplet et fragmenté, (planche IV) a un caractère fortement accusé et un contour « dolichopentagonal », selon la terminologie de l’époque. Ce contour déterminé par la saillie occipitale, par le développement des bosses pariétales et, antérieurement, non par des bosses frontales accusées, les bosses frontales étant complètement effacées, mais par l’angle relativement peu ouvert, dont le sommet est formé par la crête temporale, séparant la fraction temporale du frontal de sa région antérieure. L’indice céphalique n’a qu’une valeur approximative, par suite de la destruction de la glabelle. Le front est extrêmement étroit. L’individu de Kéo-Phay est peut-être proche de ceux décrits par le docteur René Verneau[2].
A la station de Lai Ta
Le capitaine Etienne Patte, attaché au service géologique, réalisa quelques annotations sur les crânes de Pho-Binh-Gia et de Combe-Capelle (Dordogne)[3].
Station de Lai-Ta : A 400 mètres, au sud de la route de Dong-Mo à Van-Linh, à environ 6 kilomètres de cette localité, la grotte de Lai-Ta forme un couloir d’érosion, long de 50 mètres. L’ouverture la plus accessible est au Nord, à 10 m au-dessus des rizières. Fut découverte une lame peu épaisse, en rhyolite, ayant gardé sur l’une des faces une partie de la croûte érodée du nodule, selon la méthode d’économie de travail, si usitée, rendue fréquente par l’abondance des galets recueillis dans les cours d’eaux voisins. Elle présente une face éclatée et finement retaillée sur tout son pourtour[4]. Les grands côtés sont habilement régularisés par l’enlèvement de petites retouches.
Une roche non altérée
Un autre outil complexe, « fort curieux » leur est associé : « Cet outil emprunte, dans sa facture, à l’industrie paléolithique et à l’industrie néolithique, associant à un racloir de style pléistocène une hache à large tranchant poli. Fait en cornéenne, roche se prêtant assez bien à la taille, de contour subrectangulaire large, sa largeur égale environ les trois quarts de sa longueur. Peu épais, d’épaisseur égalisée sur presque toute l’étendue des faces par le départ de grands éclats, il est façonné en racloir sur son côté convexe. D’une remarquable symétrie bilatérale, les extrémités de ce côté s’abaissent sous la même longueur, depuis la partie centrale surélevée. Un des petits côtés de cette pièce a reçu un polissage régulier sur les deux faces. Les surfaces polies montrent le même degré d’altération, la même décoloration que toutes les parties taillées. Cette décoloration par perte de substance se reconnaissant nettement, par contraste, avec une cassure récente au tranchant, découvrant la roche non altérée, d’un gris bleuâtre très foncé, dont le ton se détache nettement au milieu de la couleur gris clair de toute la surface. C’est exactement ce que nous avons observé sur des instruments amygdaloïdes de Vo-Muong et de Con-Ké, notamment, pour lesquels le polissage d’une extrémité semble contemporain, à peu près, de la taille. »[5]
Les autres éléments remarquables dans la grotte furent :
- des haches au tranchant poli seul ;
- des pilons et écrasoirs ou molettes à main, pierre à cupules avec des galets schisteux à double impression représentant de véritables armes contondantes ;
- une faune avec gastéropode, deux lamellibranches, ornements supposés ont été trouvés. Un lamellibranche de parure, du genre Arca Linné dont le crochet est brisé, peut-être intentionnellement, a été déterminé par Henri Mansuy après examen de la figure de arca granosa donnée par le traité de conchyliologie de Paul Fischer[6]. La provenance de cet Arcidae est alors supposée être l’Australie. Il n’y avait alors aucun renseignement relatif à l’extension géographique de cette espèce sur le littoral Extrême-oriental. S’en assurer, est essentiel du point de vue de l’étendue des relations et des déplacements des troglodytes indochinois ayant vécu au Néolithique.
Station de Bang-Mac : La petite grotte de Bang-Mac n’a produit qu’un pauvre mobilier archéologique.
Station de Khac-Kiem : Dans cette grotte a été découvert un crâne dont la description particulièrement minutieuse a été faite dans un mémoire du service de géologie[7] : il ne subsistait de ce crâne que l’occipital presque entier, le pariétal gauche fracturé postérieurement, une petite fraction attenante du pariétal droit, le temporal gauche, la moitié gauche postérieure du frontal.
Note complémentaire sur deux instruments en pierre polie provenant de l’île de Tré[8].
Dans la baie de Nha-Trang, non loin du village de Bich-Dam, au sud du Vietnam, ces instruments y ont été trouvés. Ils étaient peut-être destinés à des travaux agricoles ou étaient des éléments votifs entrant dans la pratique rituelle de culte disparu. Ce sont des haches à tenons d’emmanchement avec tranchant obtenu par un biseau sur l’une des faces. Leurs dimensions sont inusuelles.
En tout état de cause, ils sont d’une grande beauté. La perfection de leur facture permette de les attribuer aux derniers temps du Néolithique en Extrême-Orient méridional, sans doute vers l’époque de l’apparition du bronze. Ces grands instruments non usagés sont en serpentine et datent peut-être du commencement de la Proto-histoire.
En 1925, dans le Bulletin de l’Ecole française d’Extrême-Orient (BEFEO n° 25), Charles Robequain déclare[9] : « Depuis 1904, date à laquelle nos connaissances sur la préhistoire de l’Indochine française sont exposées dans les mémoires de la Mission Pavie[10], une série de découvertes, dues à la persévérance de quelques savants, rares mais enthousiastes, membres du Service de Géologique de la Colonie, ont jeté quelques lueurs nouvelles dans ce domaine à peine exploré…
Le néolithique n’est pas homogène partout
Ce sont les fouilles conduites avec une rigoureuse méthode dans les dépôts des cavernes qui ont permis les observations les plus neuves et les plus fécondes …toutes ses découvertes ont conduit M. Mansuy a des conclusions … qui montrent bien que le néolithique n’est pas homogène partout, …Ce savant ne dissimule pas les incertitudes qui subsistent, mais déjà les découvertes sont grosses de promesses, elles suscitent le ferme espoir de reculer bientôt plus loin, plus haut dans le passé, la présence de l’homme en Indochine. »[11]
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Didier Mansuy
NOTES
[1] D’après Henri Mansuy, Mémoires du service Géologique de l’Indochine. Volume XII. Fasc II. Contribution à l'étude de la Préhistoire de l'Indochine et VI. Stations préhistoriques de Kéo-Phay (suite), de Khac-Kiêm (suite), de Lai-ta et de Bang-Mac, dans le massif calcaire de Bac-son (Tonkin). Note sur deux instruments en pierre polie provenant de l'île de Trê (Annam), 1925.
[2] R. Verneau. Les crânes humains du gisement préhistoriques de Pho-Binh-Gia (Tonkin). L’Anthropologie. p. 549. Fig. 2, p. 552. Fig. 4, p.p. 558, 559.
[3] Birkner. Die Rasen und Volker der Menschheit Munchen. 1913. Pl. 10, fig. b et c.
[4] Ce type de taille peut faire penser au « couteau suisse » multi usage.
[5] H. Mansuy. Mem. Serv. géol. de l’Indochine. Vol. XII. Fasc. I. 1924.
[6] Paul Fischer, Manuel de Conchyliologie et de Paléontologie conchyliologique, pl. XVII, fig. 10, 1887.
[7] Mémoires du service Géologique de l’Indochine. Volume XII. Fasc II. Contribution à l'étude de la Préhistoire de l'Indochine. et VI. Stations préhistoriques de Kéo-Phay (suite), de Khac-Kiêm (suite), de Lai-ta et de Bang-Mac, dans le massif calcaire de Bac-son (Tonkin). Note sur deux instruments en pierre polie provenant de l'île de Trê (Annam), 1925.
[8] Déposés au service géologique par les soins de monsieur le capitaine Marchand, attaché au service géographique.
[9] Charles Robequain (1897-1963). Agrégé d'histoire-géographie, spécialiste de l'Extrême-Orient. Enseignant détaché à l'École française d'Extrême-Orient (1924-1926) puis professeur de géographie à la faculté des lettres de Paris, université de la Sorbonne.
[10] Mission Pavie (Indochine 1879-1895). Etudes diverses III. Recherches sur l’histoire naturelle de l’Indochine orientale. Anthropologie. p :1-40 (avec bibliographie des travaux antérieurs).
[11] Se rapporter à l’article de MM. Boule et Verneau. L’Anthropologie XXXV, n° 162. 1925. p : 47-62 sur « Les récentes découvertes préhistoriques en Indochine ». Selon Ch. Robequain « Le docteur Verneau y rend un hommage mérité aux travaux et à l’œuvre remarquable de M. Mansuy. A cet hommage l’Ecole française d’Extrême-Orient s’associe entièrement. »